Page 139 - L’AÉROPOSTALE D’AMÉRIQUE DU SUD
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                     Attentif, Saint-Ex jouait prudemment de la manette des gaz. Soudain, il
                  nous a semblé être en terrain d'avion cross, et bientôt une secousse plus
                  forte nous immobilisa.

                  - J'ai bien un cap, me dis alors Saint-Ex. Mais nous ne pouvons tout de
                  même pas aller en rouleur jusqu'à Santos.


                  - Descendez me virer. Il avait plu durant toute la journée précédente, et
                  une aimable moiteur s'étendait au ras du sol où la nature semblait avoir
                  grandi. Je tombai en effet sur un terrain mou, détrempé, dans une espèce
                  de forêt naine mais touffue, où les arbustes tenaces s'accrochaient à moi
                  de  toutes  parts.  Selon  le  rite  établi  et  à  l'aide  de  ma  lampe  électrique,
                  j'éclairai, à l'attention du pilote, un mouchoir tenu à bout de bras ; et cette
                  manche à air pittoresque, si fréquemment utilisé, nous indiquait bien une
                  situation de vent arrière. Il fallait donc faire virer cette machine, qui semblait
                  solidement ancrée au sol.

                  Alors, se renouvela une merveilleuse séance de sport, dont la technique
                  nous était familière.


                  Sur un de mes appels, Saint-Ex déchaîna l'ouragan. Pendant que de toutes
                  mes  forces,  je  poussais  latéralement  sur  le  plan  fixe,  mes  talons
                  cherchaient obstinément au sol à s'arc-bouter sur des aspérités. Certes,
                  celles-ci  ne  manquaient  pas,  mais  sur  la  surface  glissante  toutes
                  s'effaçaient les unes après les autres. Les rafales des 450 CV courbaient
                  les arbustes mouillés, dont les sommets semblaient couler à la lueur des
                  gerbes d'étincelles qui fusaient du pot d'échappement.


                  Sous les à-coups des pleins gaz, la structure entière de la machine vibrait,
                  et ses frémissements me parvenaient à travers les épais gants de cuir qui
                  protégeaient mes mains. Sous l'impulsion du pilote, je sentais l'avion vivre
                  dans une sorte d'état fébrile, prêt à être jeté vers son élément. Dans les
                  violents  remous  en  tornade  du  moteur,  les  volets  de  direction  et  de
                  profondeur, animés par Saint-Ex, battaient l'air à travers la nuit. Mais, sur
                  le  sol,  la  béquille  semblait  avoir  pris  des  racines.  Mon  cuir  ruisselait,
                  tellement au-dehors qu'au-dedans...

                  Orchestrés  par  Saint-Ex,  nos  efforts  conjugués  n'en  faiblissaient  guère
                  pour autant ; nous étions de « ceux qui insistent » et soudain je sentis
                  l'avion  partir.  Saint-Ex  réduisit  aussitôt,  et  la  machine  s'immobilisa.  Il
                  m'appela auprès de lui et, d'un geste, indiqua quelques points lumineux,
                  au loin, devant. Qu'est-ce que c'est ? Interrogea-t-il.

                  Après notre intermède sportif, je n'ose dire être tombé des nues, mais je
                  hochai la tête de significative manière.


                  - Bon, ajouta Saint-Ex.
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