Page 57 - L’AÉROPOSTALE D’AMÉRIQUE DU SUD
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Et je me souviens qu'à sa descente d'avion le Comte de la Vaulx, qui était loin
d'être un novice, titubait en répétant : « Mais quelle séance ! Quel chahut ! ».
Comte Henri de La Vaux (1870 1930).
Il entreprit un voyage équestre en Patagonie au cours duquel il séjourna dans
des tribus locales indiennes, de mars 1896 à mai 1897.
Il est vrai que la dernière étape avait été particulièrement longue et agitée. Nous
avions mis plus de quatre heures et demie pour franchir 350 km qui sépare
Trelew de Comodoro Rivadavia et une heure entière avait été nécessaire pour
venir à bout des 35 à 40 km s'étendant entre le pic Salamanca et le terrain choisi
pour l'atterrissage au terminus. Comme, dans certaines conditions
atmosphériques, la visibilité exceptionnelle permet de voir dans cette région à
plus de 200 km devant soi, nous avions eu l'impression en fixant ce pic pendant
si longtemps que nous n'arriverions jamais.
La direction des vents en Patagonie est d'ouest en est, c'est-à-dire qu'ils soufflent
du Pacifique vers l'Atlantique. Leur violence est telle que l'on a écrit de Comodoro
Rivadavia que c'était le pays « où les cailloux volent » et ce n'est pas une
image. Je l'ai constaté à plusieurs reprises par la suite. Le vent qui, lorsque l'on
marche contre lui, vous empêche d'avancer, et même vous entraîne en arrière,
est tel que les petits cailloux légers de cette région très aride sont soulevés et
décrivent souvent des trajectoires assez longues au ras du sol avant de retoucher
terre.
L'exploitation de la future ligne allait, d'ailleurs, avoir à souffrir beaucoup de cet
élément hostile. Une fois, ce fut un « Laté 25 » dont la vitesse de croisière au sol
était de l'ordre de 150 kilomètres à l'heure, qui, aussitôt après son décollage, fut
emporté en mer jusqu'à une trentaine de kilomètres de la côte, alors que face au
vent, il tournait le dos à l'océan, malgré tous les efforts de son pilote pour le
ramener sur la terre ferme.
Il a fallu à ce dernier 3 heures 50 de lutte, en essayant diverses altitudes, pour
rejoindre finalement le littoral au ras des flots déchaînés. La vitesse du vent au
sol était pratiquement du même ordre que celle de l'avion, et à certains moments
supérieurs, ce qui l'avait entraîné en marche arrière.
Les quatre passagers et le pilote avaient bien cru ne jamais revoir le sol.