Page 80 - L’AÉROPOSTALE D’AMÉRIQUE DU SUD
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                  Jean raconte.


                        Mais le principal obstacle restait à vaincre : les 3 200 kilomètres de l’océan,
                  un interminable vol sans escale. Pourtant, l’Atlantique Sud avait déjà été vaincue
                  huit  fois.  Dès  1922,  un  équipage  portugais  avait  réussi  une  traversée  avec
                  escales aux îles du Cap-Vert et de Saint Paul ; en 1926, des Espagnols et, en
                  1927, des Italiens et des Portugais avaient renouvelé cette performance.

                  En octobre 1927, un équipage français,  Costes et Le Brix, sur un « Breguet
                  19 », réussissaient pour la première fois la traversée sans escale. Mais toutes
                  ces  traversées  ressortirent  encore  au  domaine  de  l'exploit  sportif :  de  beaux
                  actes de courage sans lendemain, et que certains payaient de leur vie (de Saint-
                  Roman, Mouneyrès et Petit, en 1927).

                  L'Aéropostale voulait mieux. Son but, c'était le service régulier cent pourcents
                  aériens de Paris à Buenos-Aires. Jusqu'à présent et depuis mars 1928, le tronçon
                  Dakar - Natal, seul tributaire des transports de surface, était effectué par des
                  avisos qui accomplissaient la traversée en quatre jours. Il fallait à tout prix se
                  libérer de cette dernière contrainte. Mais pour ces hommes animés jusqu'au fond
                  de leur cœur par ce merveilleux "esprit de la ligne", ce dernier obstacle ne pouvait
                  subsister.

                  Et, c'est pourquoi le 12 mai 1930, Mermoz, Dabry et Gimié assureront pour la
                  première fois la liaison postale entre les deux continents.


                  Lorsque nous nous sommes envolés, le 12 mai, du fleuve le Sénégal, à Saint-
                  Louis, notre hydravion « Latécoère 28 » Hispano-Suiza 650 CV était pourvu de
                  2 600 litres d'essence et pesait 5 500 kilogrammes. Pour moi, comme pour mes
                  deux compagnons, le navigateur Dabry et le radiotélégraphiste Gimié, dont je
                  tiens à faire un éloge tout particulier, notre tentative semblait devoir réussir sans
                  grand mal. Habitués à voler par tous les temps, le jour et la nuit, à des jours et à
                  des heures déterminées à l'avance, les pilotes de ligne ont acquis un sens de
                  l'air qui leur paraît maintenant tout à fait naturel. C'est si vrai que lorsque nous
                  nous sommes engagés au-dessus de l'Atlantique Sud, après avoir viré au-dessus
                  de Saint - Louis - au - Sénégal, nous n'avons éprouvé aucune émotion et aucune
                  crainte. Pour nous, nous ne faisions qu'accomplir un vol ordinaire. Le bruit du
                  moteur me ravissait. J'avais la joie dans le cœur.


                  Une heure après l'île de Noronha, Gimié accrocha le poste de Natal, le but !
                  Devant moi, au-dessus de la ligne d'horizon, se détacha lentement un rocher.
                  L'apparition de la terre après avoir sillonné l'océan, m'éblouit. Ce fut une minute
                  émouvante, la grande minute de notre randonnée. Je poussai un cri et Dabry et
                  Gimié accoururent. Je n'ouvris pas la bouche. Dabry lança : « Saint-Roques ! »
                  Dans un même élan, étroitement solidaire, nous sentîmes la puissance de notre
                  collaboration et éprouvâmes la même ivresse, celle de la victoire.


                  Natal était au-dessous de nous ; je piquais vers la base de L'Aéropostale installée
                  sur le fleuve Potengi.
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