Page 258 - L’AÉROPOSTALE D’AMÉRIQUE DU SUD
P. 258

258


                    Après  quelques  heures  de  repos,  Guillaumet  m’éveille  au  petit  jour  et
                  m’entraîne dehors où, malgré mes vêtements de cuir, ma chemise bourrée, je
                  suis immédiatement pénétré par un froid terrible. La Cordillère, dont je n’avais
                  point  soupçonné  hier  la  présence,  se  dresse  immense,  écrasante,  avec  ses
                  entassements de rochers et de neige, avec ses contreforts menaçants ; et le
                  pilote m’en fait admirer, en termes attendris, les sommets rosis par l’aurore.

                   L’avion  qui doit  franchir  ce  formidable  obstacle  est  un  Potez  25,  appareil  de
                  chasse  choisi  pour  ses  qualités  ascensionnelles,  mais  non  conçues  pour  le
                  transport  des  bagages  ;  et  lorsque  je  m’assieds  sur  les  sacs,  dans  la  soute
                  rudimentaire, tout mon buste dépasse. II faut donc m’attacher au fuselage avec
                  des cordes, en prévision des remous formidables qui cahoteront l’appareil.

                  Nous décollons : le mur gigantesque est contre nous, et nous devons prendre
                  rapidement de l’altitude ; mais plus nous montons plus surgissent les obstacles ;
                  nous frôlons les massifs en exécutant une danse insensée : pris dans les remous,
                  cahoté en tous sens fouette à plein corps par un vent qui soulève la neige des
                  crêtes, je me crispe au fuselage malgré mes doigts insensibles.

                  Le thermomètre enregistre 35” de froid ; mes oreilles bourdonnent, il me semble
                  que ma tête éclate.


















                      À Santiago du Chili, point terminus, on décharge le courrier qui vient de
                  traverser la cordillère.

                     Parvenus  au  col  de  Caracolles,  nous  voyons  se  dresser  les  deux  massifs
                  géants de la Cordillère : le Tupungato et  I’Aconcagua, hauts de six mille six
                  cents et de sept mille deux cents mètres.
                   Guillaumet, pour se hisser à leur hauteur, utilise habilement les courants et se
                  faufile à travers un inexprimable chaos montagneux ; il déjoue les éléments qui
                  cherchent à le plaquer sournoisement au soi.

                  Et puis la descente commence, rapide, impressionnante.

                  Au pied même de la montagne apparaît, minuscule, Santiago du Chili vers lequel
                  nous descendons.
                   Sur  l’aérodrome  de  Cérillos  nous  attendent,  après  l’accueil  aimable  de  M.
                  Delleye, le déchargement du courrier et les formalités de douane ; après quoi,
                  nous nous rendons à l’aéroport de Coinas, propriété de l’Aéropostale, pour y
                  garer l’avion.
   253   254   255   256   257   258   259   260   261   262   263