Page 257 - L’AÉROPOSTALE D’AMÉRIQUE DU SUD
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                       C’est lui qui me pilotera au-dessus des farouches montagnes... Si toutefois,
                  on me laisse partir. Car, déprimé par le manque de sommeil et par une semaine
                  de privations, j’inspire, avec mes traits tirés, ma barbe de trois jours et ma peau
                  brûlée, une évidente pitié et des amis charitables voudraient me retenir quelques
                  jours. Mais mon refus est catégorique ; je profite des courts instants que dure le
                  transport  du fret  pour noter, malgré  la  nuit,  les  perspectives  illuminées de  ce
                  magnifique aérodrome ; mais comment traduire une telle animation ? Chariots et
                  voitures  de  poste  sillonnent  le  terrain  tandis  que  des  employés  aux  mains
                  promptes trient le courrier au fur et à mesure de son arrivée. Un bruit d’activité
                  monte des ateliers de réparation et d’entretien, véritables usines où l’on forge les
                  pièces et rentoile les fuselages...

                  Centre unique en Amérique du Sud et dont l’Aéropostale est encore l’auteur. Mais
                  l’avion trépide déjà et, délaissant la soute où sont entassés trois cents kilos de
                  courrier,  je  me  hisse  à  bord  au  côté  du  radiotélégraphiste  Cruveilher,  dans
                  l’enchevêtrement des fils et des cadrans.
                  7 heures du soir : la nuit est opaque : le pampero, vent des pampas, glace d’avoir
                  traversé les montagnes, nous transit.

                  Comme il n’y a rien à voir et que le bruit du moteur interdit toute conversation, je
                  ne puis que m'intéresser à la man&oeliguvre ; j’admire l’étonnant instrument de
                  repérage  qu’est  devenue  la  T.S.F  :  grâce  aux  tables  radiogoniométriques  de
                  Serres, le radio peut à toute direction des postes avec lesquels il communique.

                     De temps en temps, lorsque des lumières scintillent au-dessous de nous, mon
                  compagnon me montre sur la carte une ville perdue : et pour chasser peut-être
                  le spleen qui nous étreint, il me demande par écrit des nouvelles de France : que
                  devient M. Herriot ? Quel est notre champion de tennis actuel ? ‘Vers 1 heure du
                  matin,  Guillaumet  nous  montre  du  doigt  les  lumières  de  Mendoza  voilées  de
                  brume  et  demande  à  Cruveilher  de  réclamer,  par  l'intermédiaire  de  la  radio,
                  l’orientation sur le terrain de tous les projecteurs. L’avion descend, passe entre
                  les feux d’essence, puis s’illumine dans un crépitement : des fusées destinées à
                  éclairer le  sol viennent  de  s’allumer sur le  train  d’atterrissage  :  les  panneaux
                  vernis brillent et les haubans s’inscrivent en ombres sur les plans... Puis le feu
                  d’artifice cesse : nous sommes à terre.




















                                                 À Collina, près de Santiago : un gaucho.
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