Page 255 - L’AÉROPOSTALE D’AMÉRIQUE DU SUD
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                       Cet immense quadrilatère fut entièrement aménagé par l'Aéropostale ; ce qui
                  représente  un  bon  nombre  d’hectares  défrichés  et  nivelés,  de  tonnes  de
                  matériaux amenées en pirogue sur soixante kilomètres de rivières et de routes
                  taillées dans la forêt ; et sait-on que, sur quarante-six terrains utilisés par la ligne,
                  trente-cinq ont été créés par la compagnie au prix de semblables efforts ? Cela
                  explique pourquoi aucune organisation étrangère n’avait cru possible avant nous
                  l’établissement  d’un  service  régulier.  Ces  relais  constituent  des  îlots  français
                  organisés par quelques mécaniciens courageux qui vivent en plein bled, exposés
                  à de multiples dangers dont les plus redoutables sont les fièvres et les serpents
                  ; je voudrais leur parler ; mais nous n’avons que le temps de changer d’avion et
                  de nous élancer à 7 h 55 sous une voûte multicolore formée de cinq arcs-en-ciel.























                    L'avion postal éclairé par ses fusées de roues à son arrivée à Mendoza.

                   Le  radio  me  transmet  alors  par  écrit  le  dernier  message :  Géo  Ham  a-t-il
                  l’intention de continuer sur Buenos Aires ou d’attendre le prochain courrier. Ma
                  réponse est aussitôt rédigée : j’accompagnerai jusqu’au bout les sacs postaux...
                  Et  pourtant,  je tombe de fatigue et  de faim ;  l’étape  d’aujourd’hui me  semble
                  interminable : ce soir seulement nous serons en vue de Rio de Janeiro après
                  avoir touché Caravellas et Victoria, après avoir survolé des étendues infinies de
                  plantations...  À  la  nuit  tombante  nous  survolerons  l’admirable  baie :  la  ville
                  éclairée semblera ruisseler des collines et un halo lumineux fera croire que cet
                  extraordinaire chaos est éclairé par en dessous.

                       Et puis, après changement d’avion et de pilote, il faudra se lancer au-dessus
                  de  la  mer,  assurer  une  liaison  que  Costes  lui-même  considérait  comme  très
                  problématique, car ni la côte, qui est rocheuse et déchiquetée, ni l’eau, qui est
                  infestée de requins, ne font grâce en cas de chute...

                  Combien sont illusoires les bouées dont on a encombré mon réduit ! Blotti parmi
                  les sacs, claquant les dents de froid et livré à la fantaisie d’un mécanisme, je ne
                  dois avoir d’espoir qu’en mes deux pilotes, ces hommes hardis qui savent défier
                  la mort.

                  Aussi, quel soulagement de voir apparaître, au pied de la Serra Dou Mar, les
                  lumières de Santos.
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