Page 176 - L’AÉROPOSTALE D’AMÉRIQUE DU SUD
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À bord de nos monomoteurs, sans autres instruments de bord que le
compte-tour, la montre et l'altimètre, il fallait souvent, contre les alizés, de
dix-huit à vingt heures de vol consécutives pour aller de Rio de Janeiro à
Natal et quatorze à seize de Natal à Rio.
« Ali ! Les vaches » Combien de fois Reine, à la gouaille souriante,
prononça-t-il ces mots ! « À propos de tout, à propos de rien, pour chasser
un ennui ou approuver une bonne blague.
Cette nuit-là tout était prêt pour son départ. Dans une demi-heure, le petit
jour allait poindre, mais, dans ce pays sans aurore ni crépuscule, il faisait
noir encore au creux de cette cuvette que formait le terrain des Affonsos
entouré de hautes collines. L'herbe faisait un tapis sombre se confondant
avec la nuit et deux lampes rouges à l'extrémité de l'axe de départ
délimitaient seules le terrain utilisable.
En avance, Reine prit place à bord avec Pourchasse, le radio ; on enleva
les cales.
Lourdement chargée, la machine utilisa à peu près toute la longueur
disponible ; l'avion roula puis s'éleva lentement, tournant à basse altitude
autour du terrain.
Dès le contact radio établi, Pourchasse signala qu'au moment du
décollage, ils avaient ressenti sur la droite un choc assez violent, mais
l'obscurité ne leur permettait pas de juger les dégâts.
Ensuite, Reine se plaignit que son appareil penchait, il décida de tourner
jusqu'au jour, ne voulant pas partir sans savoir.
Quand le ciel peu à peu s'éclaira, nous aperçûmes la roue droite décalée
en arrière et le pilote, de son côté, put voir dans quel état était son LAT.
XXN : la jambe de force, renfermant l'amortisseur de la roue droite,
articulée sur le mât oblique reliant l'aile au fuselage, était arrachée, le mât
pendait casser en deux et, ainsi, l'aile n'avait plus de 'haubanage.
Cela pouvait être catastrophique, soit que le plan ne supportât plus le poids
de la machine, soit que le tout s'écrasât à l'atterrissage sur une seule roue.
Reine s'en tira comme un grand pilote qu'il était.
Ayant épuisé l'essence de ses réservoirs, il se posa sur sa seule roue
gauche et son aile droite toucha le sol si doucement qu'il en résulta un
cheval de bois atténué. Ambulances et pompiers n'eurent point à intervenir.