Page 194 - L’AÉROPOSTALE D’AMÉRIQUE DU SUD
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                     En l'air, la visibilité, très restreinte en oblique, était trompeuse ; cela nous
                  rappelait les vents de sable de Mauritanie. Là-bas, lorsque le chargement
                  le permettait, nous montions au-dessus de ce sable arraché au sol alors
                  qu'ici les cendres descendaient du ciel après un voyage de deux à trois
                  mille kilomètres, et plus l'on montait, plus la visibilité diminuait.


                  Un pilote venu six jours plus tôt de Buenos Aires partit avec le courrier de
                  France. Nous le suivions par ses émissions radio, quand un message nous
                  apprit qu'il faisait demi-tour en raison du manque de visibilité. Peu après
                  midi, nouveau départ et nouveau retour ! Le temps de refaire les pleins et
                  l'approche de la nuit empêcha une nouvelle tentative.

                  Le lendemain, le même scénario se déroula ; je m'arrachais les cheveux.
                  Pouvais-je faire mieux que ce pilote ? Sincèrement, je le pensais, mais,
                  même si j'avais raison, il m'était difficile de froisser sa susceptibilité.

                  Au matin du troisième jour, je pris à part ce pilote :


                    -  J'ai  confiance  en  vous,  lui  dis-je,  mais  n'oubliez  pas  que  le  courrier
                  commande. Nous avons vaincu déjà bien des difficultés et celle-ci ne me
                  paraît pas insurmontable.


                  - Je ferai mon possible.

                  Après quatre heures de vol, plus qu'il n’en fallait pour aller à Santos même
                  par très mauvais temps, il réapparut.

                   Alors,  j'informai  la  direction  de  Buenos  Aires  que  ces  dérobades  me
                  paraissaient anormales et qu'en cas de récidive, je comptais assurer moi-
                  même la livraison du courrier.


                  Cette fois le pilote, que j'avais prévenu, avança droit devant lui ; après deux
                  heures trente, il annonça qu'il survolait Santos ; il n'était donc plus qu'à
                  quelques kilomètres de la belle plage qui nous servait d'aérodrome.

                  J'eus le tort de me réjouir trop vite ; un message urgent m'avisa bientôt que
                  la roulette de queue s'était cassée à l'atterrissage et que le pilote attendait
                  d'être dépanné.


                  Départ immédiat, transbordement du courrier. Un courrier que je ne lâchai
                  plus et que je conduisis à bon port.


                  Mermoz suivait les essais du trimoteur Couzinet avec lequel il devait se
                  lancer à nouveau au-dessus de l'Atlantique Sud et tous, nous attendions
                  confiants dans les moyens de notre camarade et curieux d'apprécier les
                  performances de cette nouvelle machine française.
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