Page 245 - L’AÉROPOSTALE D’AMÉRIQUE DU SUD
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                        Qu'importe !... Le courrier est chose sacrée que ne doivent retarder ni les
                  hésitations ni les fatigues d'un équipage : vingt minutes plus tard, nous décollons
                  en  direction  de  l'Espagne,  et  Delpech,  vieux  routier  de  la  ligne,  va  tenter  de
                  passer par le Perthus. Nous prenons donc de la hauteur : mille cinq cents, deux
                  mille mètres. Et nous voilà bientôt au-dessus des Pyrénées que cachent des
                  écharpes de brume. Quelques minutes d'arrêt à Barcelone pour déposer des
                  sacs postaux et nous survolons les côtes catalanes bordées de plages d'or ; puis
                  voici  Villaneuva  où  Lalouette et  de  Permangle  se  tuèrent  l'année  dernière en
                  tentant  un  record  :  voici  Tarragone,  Peniscola  et  Alicante  enfin  où,  sur
                  l'aérodrome, un avion nous attend moteur au ralenti.
                  Transfert  des  bagages,  potage  brûlant  à  la  cantine  et  nous  reprenons  notre
                  course.

                   Vers 1 heure, la Sierra Nevada nous apparaît avec ses monts désertiques sur
                  lesquels se profile l'ombre bleue de notre avion ; puis Gibraltar surgit avec son
                  orgueilleux  roché  et  sa  rade  où  sommeillent  les  cuirassés  anglais.  Et  voici
                  l'Afrique : alors le décor change brusquement.

                    Je reconnais les classiques paysages agrémentés de palmiers et de chameaux.
                  Larache passé, voici les plages de Média et Salé, grouillantes d'une population
                  bariolée ; puis Rabat, que domine le palais du sultan. Nous descendons en une
                  large  spire  et  l'oiseau  de  France  se  trouve  entouré  d'Arabes  en  costumes
                  éclatants.

                  La baguette d'un magicien n'eut pas fait surgir sans plus d'étonnement pour moi
                  ce  peuple  bigarré  dans  ce  décor  de  minarets,  de  mosquées  et  de  jardins...
                  D'étranges têtes enturbannées se penchent sur l'avion pour s'emparer des sacs
                  de  courrier...  Et,  sans  même  avoir  quitté  la  carlingue,  nous  repartons  vers
                  Casablanca où pilote et appareil termineront leur étape ; il sera 18 h 10. Sur
                  l'aérodrome, un Laté 26 m'attendra. J'envie un instant les passagers qui vont
                  gagner la ville fraîche... Mais Parisot et, derrière lui, le radiotélégraphiste sont
                  déjà prêts pour l'envoi au-dessus du désert ; dans la soute arrière, les indigènes
                  chargent le fret et je m'installe tant bien que mal dans cet étroit réduit encombrer
                  de colis, d'armes et de sacs. Pour me donner de l'air et du jour, on a retiré le
                  couvercle de ma boîte ; et le vent, qui n'est retenu par aucun pare-brise, me
                  laboure le visage.

                  Dernières  recommandations  concernant  la  génératrice  qui  tourne  à  quelques
                  centimètres  de  ma  tête  ;  salut  de  la  main  de  l'équipage  avec  lequel  je  vais
                  partager une nuit pleine d'aléas ; et, dans le vrombissement du moteur, au milieu
                  d'un nuage de poussière, nous décollons. À la verte campagne ont succédé les
                  dunes et les monts roux de l'Atlas. Le soir tombe : l'ombre de notre appareil nous
                  a quittés. Nos feux de position s'allument ; je me recroqueville dans mon 'poil de
                  chameau' transpercé par le froid subit des nuits sahariennes ; je me retourne,
                  dos à la route, et dans mes lunettes brille comme une veilleuse le feu arrière du
                  'stabilo'. Au-dessus de moi l'échappement lance de longues flammes bruyantes.
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