Page 89 - L’AÉROPOSTALE D’AMÉRIQUE DU SUD
P. 89
89
Cependant, je ne pouvais pas me faire à l'idée d'abandonner là mon
appareil, de reconnaître mon impuissance à décoller et de rentrer en
Europe par le bateau : j'étais arrivé au Brésil avec le désir bien arrêté de
tâcher d'en partir par la voie aérienne.
J'en étais là de mes réflexions quand le vent changea de direction,
redevint sud-est.
À l'instant même où je crus me trouver dans l'obligation de capituler,
j'entrevis la possibilité d'entreprendre une cinquante troisièmes
tentatives de décollage. Je fis laisser le courrier à bord de notre machine
et j'invitai les mécaniciens à procéder en hâte au plein d'essence et à
vérifier les réservoirs d'huile et de radiateur.
Au-dessus de l'Atlantique. Le sort est battu.
Et à 16 h. 30 (19 h. 30 G.M.T.) le 08 juillet, notre hydravion s'éleva de
la lagune en une minute avec une facilité dérisoire.
Notre victoire, nous la devions au vent sud-est.
Que nous importaient les nuages bas, les menaces de pluie entrevues peu
après notre envolée. Nous étions payés de tous nos maux, et nous filions
de l'avant sans nous apitoyer sur notre aventure.
Tout de suite Gimié entra en relation avec le poste de T.S.F. de Natal.
Malgré les secousses provoquées par les cinquante-trois manœuvres,
notre appareil était aussi fringant que par le passé. À 200 mètres d'altitude,
au-dessus d'une mer sombre, il fonçait, j'oserai dire, tête baissée dans la
pluie ? La visibilité horizontale n'excédait pas un kilomètre, le plafond était
à moins de 50 mètres.
Le vent soufflait en rafales du Sud-est à la vitesse de 30, 40 kilomètres par
heure. Nous vîmes alors une mer agitée et parfois démontée. La lumière
de la lune ne perçait pas les nuages.
La nuit nous surprit en plein milieu des grains.
Je vécus des heures vraiment très désagréables. Si le moteur tournait
toujours avec la plus parfaite des régularités et si toutes les températures
étaient normales, la pleine charge rendait le pilotage très pénible.
Lassé de ne rien voir, je mis la tête dans la carlingue et conduisis l'hydro
en me servant uniquement des appareils de bord et de contrôle.