Page 117 - L’AÉROPOSTALE D’AMÉRIQUE DU SUD
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En moins de trois minutes, il est tombé à 3 400 mètres d'altitude, il est
piégé dans une cuvette entourée d'une ceinture de vieux volcans hauts de
4 000 mètres à 5 000 mètres. Sans visibilité, la fuite est impossible : dès
qu'il s'éloigne du lac, il perd tous ses repères visuels. Longtemps, le Potez
tourne au-dessus de l'eau noire, attendant une éclaircie. Au bout d'une
heure trente, la jauge d'essence frôle la cote d'alerte. Guillaumet se pose
dans une plaine en pente douce, au nord du lac.
L'avion cahote puis roule à vive allure vers la rive. Pour le ralentir, le pilote
le dirige vers un talus de neige. Il le sent rué sous ses fesses, puis culbuter.
Doucement, l'avion s'écrase sur le dos. Il est 11 h 35. Sonné, Henri
Guillaumet dénoue sa ceinture et plonge le nez dans la neige.
La tempête fait rage. Rien ne l'a préparé à affronter l'hiver au cœur de la
cordillère des Andes. Enfant de la campagne, pêcheur à ses heures, il n'a
jamais mis les pieds en montagne.
Il a le physique d'un Gabin lisse. Sa femme, Noëlle, dit : « C'est un
candide toute sa vie, il a cru aux hommes ».
Elle s'est laissé « enlever » à Dakar et épouser à Buenos Aires. Henri,
Jules, Constant Guillaumet, né à Bouy dans la Marne, rêve d'avions depuis
qu'un officier lui a offert son baptême de l'air, pendant la première guerre.
Il a fait l'école avec Nungesser à Orly, avec Mermoz qui l'a recommandé à
Latécoère.
Son chien s'appelle Looping et regarde en l'air quand il entend le mot
« avion ».
Dans le milieu des pilotes, il s'attire toujours les mêmes compliments :
« Bon ouvrier », « régulier comme un facteur rural ». Sur les photos de
groupe devant les avions, Guillaumet porte un peu justes des costumes de
tweed mou, froissés par le séjour dans la carlingue.
Ce 13 juin 1930, blotti derrière son avion, l'aviateur se protège comme il
peut contre la tempête. Il enfile deux complets l'un par-dessus l'autre, ses
chaussons de vol fourrés sur ses chaussures de ville. Effrayé par la
puissance du vent qui menace de bousculer l'avion, Guillaumet creuse un
trou dans la neige et pose son parachute à même le sol gelé.
Il met le courrier à l'abri dans la carlingue, s'emmitoufle dans son manteau
de ville et se recroqueville, secoué de frissons.
Son seul guide est le souvenir d'un roman sur l'Alaska. Il en a retenu une
chose : dormir, c'est la mort. Cette obsession va le hanter pendant six
jours et six nuits.