Page 118 - L’AÉROPOSTALE D’AMÉRIQUE DU SUD
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Il reste prostré plus de trente-six heures, transpercé par les rafales.
Enfin, la deuxième nuit, un calme irréel s'installe. La tempête est finie, la
pleine lune éclaire un paysage immaculé dominé par le cône parfait du
volcan Maipo, à 5 200 mètres d'altitude.
Le dimanche matin, lorsqu'il entend le bruit d'un moteur, il se précipite.
Mais le temps d'allumer ses fusées de détresse, l'avion de recherche est
déjà loin. Guillaumet comprend que, s'il, veut survivre, il ne peut compter
que sur lui-même. Avec un caillou, il grave deux messages sur le fuselage.
À tribord, un résumé des circonstances de l'accident et : « mon dernier
souvenir à ma femme avec un bon baiser. » Et à bâbord : « je suis parti
vers l'est direction l'Argentine, adieu à tous. Henri Guillaumet ».
Sur le haut plateau couvert de neige, une silhouette engoncée dans ses
lourds vêtements titube dans les congères en louvoyant entre les amples
ondulations du relief. Avec une lenteur extrême, elle s'élève au-dessus du
lac, dont les eaux, avec le beau temps, ont retrouvé un bleu profond. Dans
sa petite valise, le pilote a entassé les rations de survie de l'Aéropostale :
un flacon de rhum, des biscuits, une demi-douzaine de conserves (lait,
corned-beef, sardine), un petit réchaud à alcool, une lampe électrique et
quatre boîtes d'allumettes.
Il regarde sa petite boussole de poche donnée par Marcel Bouilloux –
Lafont et part en direction de l'est. C'est sa principale erreur : vers le sud,
une rivière s'écoule du lac. S'il la suivait, il passerait ce dimanche soir, au
pire lundi, sous la barre des 3 000 mètres d'altitude ; il fuirait cette neige
fraîche désespérante. Au lieu de quoi, il va s'épuiser quatre jours entiers
en haute altitude, suffoquant dans l'oxygène raréfié, exposant ses pieds
mal protégés au froid, son corps affaibli au vent.
Guillaumet part vers l'est, en ligne droite vers l'Argentine. Il est aviateur,
pas alpiniste. Il sait tenir un cap, il a appris à fuir le relief, pas à l'apprivoiser.
Le récit qu'Henri Guillaumet a fait de ses cinq jours de marche harassante
est confus comme un mauvais rêve. Tout se mélange, les jours et les nuits,
les altitudes et les décisions.
Il avale trois comprimés de quinine par jour de crainte de faire un accès de
paludisme, mais oublie de faire fondre de la neige (d'ailleurs, ses
allumettes sont toutes humides). Il passe un col et revient sur ses pas, suit
un ruisseau où il pourrait boire, mais croque de la neige fondue pour faire
passer les conserves froides, il oublie un de ses gants, puis sa boussole,
il marche dans l'eau glacée d'un torrent, trempe ses habits et sa précieuse
valise, chute, se relève, chute encore et perd sa valise, s'écorche les
genoux, fend ses chaussures pour libérer ses pieds gonflés par les
engelures.