Page 120 - L’AÉROPOSTALE D’AMÉRIQUE DU SUD
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                                        http://www.ladressemuseedelaposte.fr/Guillaumet-Codos

                      Guillaumet  porte  une  écharpe,  il  a  toujours  le  casque  en  cuir.  Les
                  quinze kilogrammes perdus, les paupières lourdes et l'extrême fatigue qui
                  arrondit les sourcils lui donnent un air enfantin.

                  L'écrivain aviateur se chargera de donner à ces quelques mots toute la
                  publicité qu'ils méritent.


                   Dans Terre des hommes, il raconte au superlatif l'épopée de Guillaumet,
                  en contrepoint du récit de sa propre disparition dans le Sahara. Sous sa
                  plume, l'instant devient épique et religieux : « ce fut une belle rencontre,
                  nous pleurions tous et nous t'écrasions dans nos bras, vivant, ressuscité,
                  auteur de ton propre miracle »


                    Émotion cent fois compréhensible. Le risque dans le métier de pilote est
                  alors très élevé ; les portés disparus sont si nombreux que ce cas, presque
                  unique, de « résurrection », ne peut que d’être fêté dignement.

                   Mais il y a autre chose qui explique qu'à cet instant-là, et pour les dix ans
                  qui  lui  restent  à  vivre,  Guillaumet  devienne,  à  son  corps  défendant,  un
                  héros.

                  Le ciel, pour ces hommes de la première génération de l'après-guerre de
                  14-18, c'est un espace à la hauteur de leurs envies d'héroïsme. Ils ont pris
                  au mot Blaise Cendrars qui rêvait de prolonger la nationale 20 jusqu'à la
                  Terre de Feu. Leur front à eux, c'est la Ligne mythique, cette belle ligne
                  droite par laquelle le courrier file, cap 225, de Paris à la Patagonie frôlant
                  les  côtes  africaines,  sautant  l'Atlantique  sud  sans  dévier  jusqu'à  Rio  et
                  Buenos Aires.

                  Saint-Exupéry, leur baladin, fait du ciel l'avenir d'une France encore rurale,
                  où  l'avion  est  la  charrue,  Mermoz  « le  défricheur »  et  Guillaumet  « le
                  laboureur ». Une « chanson de geste » avait dit Joseph Kessel.


                  Elle survit si bien que Jacques Chirac décorât, cinquante ans après, le
                  valeureux chasseur de pumas dont la femme a accueilli l'aviateur dans sa
                  hutte. Aussitôt soigné, ses engelures aux pieds, Henri Guillaumet a repris
                  son service sur la ligne. Il a piloté des hydravions géants chez Air France.


                  En 1936, il a cherché l'avion de Mermoz, disparu au-dessus de l'Atlantique
                  sud.

                  Il  faut  se  garder  d'y  chercher  des  « hiérarchies »,  comme  disait  Saint-
                  Exupéry. Comme a dit Guillaumet, « ce que j’ai fait, je te le jure, jamais
                  aucune bête ne l’aurait fait. »
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