Page 119 - L’AÉROPOSTALE D’AMÉRIQUE DU SUD
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En fait, il sombre peu à peu dans l'épuisement, et le manque de sommeil
le prive de sa lucidité. Pendant ces cinq jours et quatre nuits, il ne s'accorde
que quelques instants de sommeil, assis sur sa valise pour être sûr de
tomber le visage dans la neige, s'il s'endort. « Dans la neige, dira-t-il à
Saint-Exupéry, on perd tout instinct de conservation. On ne souhaite plus
que le sommeil. » Et aussi : « à partir du deuxième jour, mon plus gros
travail fut de m'empêcher de penser. Je souffrais trop, et ma situation était
par trop désespérée ».
Le troisième jour, s'enfonçant dans un ravin encaissé, il entend des coqs
chanter et des trains sifflés.
Le quatrième jour, un aigle le suit longtemps. Il regarde le torrent et
pense qu'il serait bon de se laisser aller doucement au fil de l'eau. Il serre
dans sa poche les photos de sa femme. Les phares qu'il voit dans la plaine
lui redonnent le moral.
Le cinquième jour, enfin, une femme, que son apparition a d'abord
effrayée, le recueille dans sa cabane, lui sert du lait de chèvre à l'eau-de-
vie et du maté. Le lendemain, il est évacué à dos de cheval puis en
automobile. Un avion se pose dans un champ, Saint-Exupéry et deux
compagnons en descendent, qui courent vers lui à toutes jambes.
Embrassades. Henri Guillaumet fond en larmes et dit : « ce que j'ai fait, je
te jure, aucune bête ne l'aurait fait ».
Sur la photo prise peu après, il est blotti contre Antoine de Saint-Exupéry,
qui, sous son bras protecteur, semble l'avoir transformé en Petit Prince.