Page 99 - L’AÉROPOSTALE D’AMÉRIQUE DU SUD
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                     Pas de bagages : nous avons oublié nos vivres dans la Plaine. Pas de
                  vêtements  chauds  non  plus,  et  nous  le  regrettons,  car  le  thermomètre
                  marque -15.

                  Tant bien que mal, nous avançons dans la neige et le verglas, escaladant
                  avec peine les blocs de rocher. La « promenade » sera dure dans cette
                  solitude glacée. Seuls êtres vivants, quelques oiseaux planent au-dessus
                  de nos têtes. Nous respirons avec effort.


                  Au bout d'une heure, nous avons à peine fait quatre cents mètres. À ce
                  train-là,  nous  serons  morts  de  froid  et  de  faim  avant  d'avoir  aperçu  la
                  plaine...


                  Inutile  de  nous  buter.  Nous  n'arriverons  jamais.  Il  nous  faut  rebrousser
                  chemin.  Retournons  à  l'appareil  et  essayons  de  le  réparer.  Collenot  se
                  montre sceptique.

                  Qu'importe ! Mieux vaut se casser la tête en avion que mourir d'épuisement
                  dans la montagne.


                  Il faut réparer le Laté. Nous voici à nouveau devant l'appareil. Au travail !
                  Mon  vieux  Collenot  est  un  mécanicien  sans  pareil.  C'est  à  lui,  à  son
                  habileté prodigieuse, à son énergie, que je dois d'avoir échappé à la mort
                  sur le plateau des Andes. Il a heureusement tout son outillage sous la main.


                  La fin de la journée, la nuit se passent à rafistoler tant bien que mal, le
                  malheureux zinc.  Mais le travail est lent. Le froid. La faim.  De temps à
                  autre, nous nous réfugions, épuisés, dans la cabine du passager, afin de
                  reprendre haleine.


                  Ciseaux, clefs anglaises, marteaux travaillent. Collenot, pour réparer, se
                  sert de choses invraisemblables : ficelles, bouts d'étoffe ou de vêtements.


                  Pour alléger l’appareil, nous démolissons les sièges, la tuyauterie inutile,
                  la  double  commande,  les  réservoirs  vides.  Tout  y  passe.  Cela  nous
                  réchauffe. Notre vieux Laté est méconnaissable.


                  Nous vidangeons l'essence, ne gardant que la quantité nécessaire pour
                  une  heure  de  vol,  le  matin  arrive.  Nous  sommes  loin  d'être  prêts.  Les
                  heures coulent, monotones, dans l'acharnement du travail.

                  Une  autre  nuit  vient.  Mais  nous  devons  nous  arrêter,  faute  de  lumière.
                  Nous nous serons l'un contre l'autre pour nous réchauffer, espérant trouver
                  un peu de sommeil et l'oubli de la faim.


                  Cette  nuit-là,  le  thermomètre  dépasse  -20.  La  troisième  journée
                  commence. Tant bien que mal, les dégâts ont été réparés.
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