Page 183 - L’AÉROPOSTALE D’AMÉRIQUE DU SUD
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                     Il est un souvenir que j'ai omis en évoquant l'arrivée de Mermoz à Natal
                  après  sa  première  traversée  aérienne  de  l'Atlantique  Sud.  Aucune
                  personnalité  n'était  là  pour  l'accueillir,  presque  seuls  l'attendait  la  chef
                  d'escale, officier de marine chargé de la base avions et des avisos et moi-
                  même qui devaient repartir immédiatement après avoir repris le courrier.


                  Et pourtant, en cet instant inoubliable, un vieux phonographe égrena une
                  Marseillaise éraillée, mais quand même vibrante.


                   À qui appartenait-il ? Qui, donc, était l'auteur de cette manifestation de
                  sympathie inattendue ?


                   Un      ancien      bagnard       français      vivant     dans      la     région.
                  J'en parle à présent parce que depuis ce jour ce bagnard patriote avait
                  gagné l'amitié de mes camarades auxquels il rendait à l'occasion de menus
                  services.

                  Le pilote, ce jour-là, fut Camille Sautereau et si tout se passa bien, il n'en
                  alla pas de même au voyage suivant.


                  En  effet,  les  choses  se  compliquèrent,  au  moment  du  retour  sur  Rio :
                  Sautereau vit arriver quatre femmes chargées de troncs d'arbres humides
                  et de forme particulière.

                   Elles  voulaient  prendre  place  dans  l'avion  pour  rejoindre  leur  ami  le
                  bagnard ;  ces  quatre  femmes  étaient  des  lavandières  qui  d'ordinaire
                  lavaient le linge, elles étaient juchées à cheval sur de gros troncs d'arbres
                  flottant au bord de la lagune.


                  Sautereau eut bien de la peine à leur faire comprendre qu'il ne pouvait les
                  emmener et, de retour à Rio, il me demanda à changer de secteur durant
                  quelques semaines afin d'échapper à ces solliciteuses...


                  Le  ciel,  pourtant  constellé  d'étoiles,  ne  parvenait  pas  à  éclairer  la  nuit.
                  Sans, doute le machiniste céleste était-il jaloux de notre activité, peut-être
                  craignait-il qu'elle ne bouleverse son décor.


                   Toujours est-il que ce voile opaque allait rendre plus périlleuse la mission
                  de l'avion courrier en route vers le nord.

                  Le  calme  de  cette  nuit  tropicale  n'était  que  trompeuse  apparence.
                  L'atmosphère  surchargée  d'électricité  était  traversée  de  décharges
                  pareilles à un bombardement colossal qui empêchaient toute lecture au
                  son.
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