Page 185 - L’AÉROPOSTALE D’AMÉRIQUE DU SUD
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Et puis, il y avait l'espoir qu'il ne s'agissait là que d'un nuage isolé, car,
par instants, le ciel réapparaissait, mais toujours gris laiteux et très sombre.
Une heure s'écoula ainsi, très longue. Vers minuit, le radio Néri tendit à
Couret par-dessus le capot un papier avec ces mots : « Ça ne passe pas ».
Rien, pas la moindre indication de temps ou de route à espérer à travers
éclaircies et nappes, Couret avait pu reprendre une altitude de quatre cents
mètres, mais bientôt les nuages accumulés l'obligèrent à redescendre, à
voler au ras de l'eau en suivant la côte et en évitant les masses soudaines
des rochers élevés.
Tout était danger dans cette progression aveugle un cap, une pointe, une
île, un arbre. Aux rochers escarpés succéda une bande de sable parallèle
à la mer, dunes ou lagunes d'où les eaux s'étaient retirées. Puis la terre fit
défaut ; Couret comprit qu'il traversait le rio Paranagua, ce fleuve boueux
dont les rives jouent à cache-cache entre les racines des palétuviers. Au
milieu, des îles émergent ; trois à quatre kilomètres d'eau à franchir pour
rejoindre la plus grande en se dirigeant au compas.
Couret en connaissait les rives basses, il espéra les atteindre sans
encombre. Un coup d'œil jeté à la hâte sur la carte lui indiqua un phare
dans la région ; il le chercha, le découvrit enfin et cette lueur insignifiante
que seul un œil exercé pouvait reconnaître fut le repère vers lequel il se
dirigea.
Mais ce repère dépassé, Couret retrouva le noir absolu ; sous lui des
nappes basses et lourdes semblaient ramper sur le sol dur ou humide et
toujours invisible.
« Le phare ! » Pensa Couret en virant brusquement et dans l'opacité
hostile, il souhaita cette faible lueur. Par chance, il la redécouvrit et tel un
gros papillon, il frôla de ses ailes la lumière réconfortante.
« Je ne peux continuer à frôler ainsi les rochers et les vagues ! »
En effet, c'était jouer avec la mort ; aussi, quand une ligne plus claire se
présenta devant lui, Couret ferma les gaz, coupa le moteur. Presque
immédiatement, les roues touchèrent le sol mou de la plage, ressautèrent,
roulèrent jusqu'à l'arrêt brutal ; la queue de l'appareil se leva puis retomba
lourdement.
Un tronc d'arbre avait bloqué le train d'atterrissage, mais les coffres arrière
lourdement chargés venaient d'empêcher l'avion de capoter ; toutefois le,
fuselage s'était rompu, les cordes à piano avaient cédé et les tubes
s'étaient disjoints. Impossible de repartir !