Page 184 - L’AÉROPOSTALE D’AMÉRIQUE DU SUD
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Les trois quarts des mots lancés de l'avion échappaient aux oreilles
exercées autant qu'acharnées des opérateurs.
Plus de mille kilomètres entre les stations de Florianópolis et de Rio de
Janeiro, c'était trop pour les ondes longues et la station intermédiaire de
Santos restait muette parce qu'elle était aux mains des troupes
révolutionnaires.
N'ayant pas la possibilité d'un atterrissage à Santos, car il eut signifié la
captivité et l'arrêt des quelque dix mille lettres transportées, l'avion avançait
en aveugle.
Il faisait noir, très noir là-haut pour le pilote qui tentait de poursuivre sa
route. À droite, la mer, à gauche les montagnes et les sierras envahies par
la forêt vierge dont les arbres hauts de vingt à trente mètres prennent
racine en bordure du rivage. Pas d'horizon, une forêt sombre comme la
nuit, une eau tout aussi opaque et l'air surchargé de vapeur confondant
tout.
Quelques phares, bien sûrs ! De minuscules feux côtiers à peine bons pour
les pêcheurs, mais qui n'étaient pratiquement d'aucun secours pour les
pilotes puisqu'il fallait savoir où ils étaient pour les trouver. Le plus souvent,
c'était à un contour de la côte que nous reconnaissions leur emplacement
et, parce qu’alors nous regardions sous nous ou en arrière, nous les
découvrions.
Tout cela évidemment, toutes ces embûches, tous ces problèmes,
faisaient partie des sacrifices librement consentis pour que vive la ligne,
cette ligne exploitée avec un matériel trop ancien, ne pouvant plus soutenir
la comparaison avec celui de nos concurrents américains ou allemands.
Seuls, la foi et l'abnégation des hommes palliaient ce handicap et
assuraient la réussite.
Depuis plus de deux heures Couret volait dans cette obscurité ; il ne se
sentait pas à l'aise, il sentait le péril rôder autour de lui.
Brusquement, sans que rien ne l’ait fait prévoir, la brume fut présente et
l'avion se trouva au sein d'un gros nuage, gris comme tout le reste. Vite, il
fallut descendre, voler sans autre contrôle que le compas, redouter le
spectre menaçant des montagnes que l'appareil alourdi par la charge
d'essence et privé de guidage ne pourrait peut-être pas éviter. Vouloir
continuer, n'était-ce pas une folie !
Déjà, Couret avait réussi à se faufiler sous la nappe de brume, il se maintint
à une cinquantaine de mètres au-dessus des brisants qui lui jalonnaient la
côte et ne songea pas à revenir en arrière ; la région parcourue était
favorable aux formations brumeuses.