Page 152 - L’AÉROPOSTALE D’AMÉRIQUE DU SUD
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Pour ne pas perdre de vue les lueurs vacillantes entraperçues sur la
rive uruguayenne du Rio de la Plata, Négrin et Pranville scrutaient devant
eux l'horizon.
Décevant leur attente, la côte tardait à paraître. Prunetta, le radio apprit du
poste de Montevideo que la brume recouvrait déjà une partie du terrain et
qu'elle paraissait plus dense en direction du fleuve.
La nécessité de descendre pour éviter de gros nuages entre lesquels il
fallait se faufiler confirma vite cette nouvelle. Négrin poursuivit sa route
dans des couches tantôt plus légères et tantôt s'épaississant,
s'alourdissant et masquant l'horizon. Pour ne pas perdre l'éclat intermittent
d'un phare, il fut contraint de descendre encore ; cette lueur passagère
était-ce Montevideo ?
L'altimètre marqua cent mètres puis cinquante, puis moins. Je les devine
n'ayant plus le temps de contrôler cette petite aiguille dont le minime
déplacement leur laissait ou leur retirait la possibilité d'arriver au but.
Avant de l'avoir vue, ils pénétrèrent dans une masse de brume plus dense,
et, probablement parce qu'ils avaient perdu les quelques mètres de
hauteur qui les séparaient de l'eau noire, tout à coup un grand craquement,
un choc brutal !
Un calme soudain à peine troublé par l'eau s'engouffrant dans le fuselage.
Tout de suite, l'aile droite fut à demi submergée ; le moteur noyé s'était tu.
Sans négliger de prendre les coussins pneumatiques qui d'ordinaire
servaient à les préserver de l'incommodité du parachute siège, Négrin et
Pranville sortirent par les portes latérales de la carlingue et se hissèrent
sur le plan, aidant les deux passagers.
Qui étaient ses deux passagers ? Nous ne devions l'apprendre que
beaucoup plus tard, car, pour ce voyage, ils portaient des noms d'emprunt.
Il s'agissait en fait de deux officiers brésiliens héros des luttes politiques
qui allaient dégénérer en révolution.
Souvent, pour leur idéal et le bien de leur pays, ces hommes avaient joué
leur vie, ils s'appelaient Siquiéra Campos et Joâo Alberto de Barros,
celui-là même qui devaient devenir l'un des chefs glorieux de la révolution
et occuper, après la victoire, l'un des postes les plus en vue de son pays.