Page 156 - L’AÉROPOSTALE D’AMÉRIQUE DU SUD
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En arrivant à 12 h 30, heure locale, le lundi, j'appris avec plaisir et
émotion que le LAT. 28 hydravion, appareil terrestre sur lequel des flotteurs
avaient été adaptés, avait quitté Saint-Louis au Sénégal.
Son équipage : Mermoz pilote, Dabry navigateur et Gimié radio, était en
route pour un raid inoubliable.
D'après les premiers renseignements radio, tout allait bien à bord. L'après-
midi et la nuit s'écoulèrent interminables, entrecoupés par les
transmissions de nouvelles que nous recevions tantôt bien, tantôt
difficilement.
Des grains orageux retardaient la marche de l'appareil, l'obligeaient à
changer de route, le secouaient, le mettaient en péril.
Il n'avait qu'un moteur de la défaillance duquel pouvait dépendre le sort de
l'entreprise et de tout l'équipage.
Comment saurai-je rendre cette attente, comment traduire les sentiments
que nous connûmes alors au-dessus d'un océan sans fin, trois de nos
camarades vivaient l'aboutissement de nos efforts et nous étions là
impuissants, inactifs, guettant leurs messages.
Nous observions le ciel sombre, nous espérions le jour dont la clarté
chasserait bien des dangers.
Quarante-cinq minutes de silence puis :
« Pression d'huile oscille, craignons ennuis de ce côté. Changeons de
route pour atteindre la côte plus proche au nord. »
Sans un mot, nous nous regardâmes.
À la joie d'une réussite qui semblait certaine se substitua soudain la crainte
de voir échouer près du but une lutte qui durait depuis dix-huit heures.
D'après sa position, l'hydravion était à quelque deux cents kilomètres de
la côte.
Que se passerait-il, s’il lui fallait brusquement amerrir en haute mer ?
Rassemblés dans le poste, anxieux, penché sur le radiotélégraphiste dont
les doigts crispés trahissaient nos craintes et nos espoirs, nous attendions
la suite...
« Pression d'huile très diminuée, devons avoir une fuite importante,
réservoir à peu près vide. Moteur tient encore !»