Page 154 - L’AÉROPOSTALE D’AMÉRIQUE DU SUD
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Nous fîmes le plus vite possible et, pendant que nous jetions manteaux
et chaussures, M. Pranville agitait sa lampe électrique de poche comme
s'il demandait un secours impossible en direction de la terre devinée à
quelques lueurs clignotantes et très éloignées.
« La tragédie dura peu de minutes ». Déjà, le fuselage était aux trois
quarts submergés, c'est alors que le pilote Négrin nous intima l'ordre de
nous jeter à la mer, lui-même donnant l'exemple sautait en même temps
que M. Pranville ; mon infortuné compagnon Siquiéra Campos et moi les
suivirent.
Le radiotélégraphiste prononça quelques paroles dont j'entendis à peu
près ceci :
« Seul. Pas de famille, tout est fini, adieu pour toujours. Bonne
chance ».
Un grand cri et l'avion sombra.
"Nous avons alors nagé en direction supposée de la rive, Négrin, Pranville,
mon compagnon et moi.
De longues minutes venaient de s'écouler quand j'entendis des cris à mon
côté droit et je puis affirmer avoir reconnu la voix du brave pilote qui m'avait
donné son coussin.
Je me souviendrai toujours de ces cris de souffrance, d'horreurs entendus
dans la nuit, de ces cris vite étouffés par les flots et l'immersion rapide du
pauvre pilote.
Un peu en arrière nageait mon compagnon qui me demanda de l'attendre,
car il trouvait préférable de nager l'un près de l'autre puis tout de suite, il
commença à se plaindre et à crier désespérément.
« Il disparut avant que j'aie pu m'approcher de lui ».
« Après de longues minutes, me sentant très fatigué et ne pouvant plus
nager régulièrement, je m'appuyais de plus en plus sur mon coussin bouée
et c'est alors que je m'aperçus avec angoisse qu'il se dégonflait.
Nerveusement, j'essayais de découvrir l'endroit d'où fuyait l'air, l'ayant
trouvé, ma main crispée réussit à empêcher l'évasion des bulles, bulles de
vie, et c'est ainsi qu'avec le précieux objet cédé si généreusement par les
braves pilotes au péril de leur vie, je réussis, deux heures et demie après,
à atteindre la plage ».