Page 155 - L’AÉROPOSTALE D’AMÉRIQUE DU SUD
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« Je veux avant de terminer cette triste narration, je veux et je dois faire
connaître le noble geste du pilote Négrin et du directeur Pranville en nous
donnant leur coussin, leur unique bouée de sauvetage, se confiant au
destin qui leur a été si cruel ».
« Jamais je n'oublierai ce grand geste d'abnégation ».
D'autres déjà ont rapporté la fin de ce désastre. Julien Pranville dut nager
jusqu'à l'épuisement total puis, ses forces le trahirent et il coula à quelques
centaines de mètres du rivage.
Son corps fut le premier retrouvé, trois ou quatre heures à peine après la
catastrophe.
Ceux de Négrin, de Prunetta et de Siquiéra Campos furent rejetés à la
côte les jours qui suivirent.
Partout, tout au long de la ligne, cette journée tragique du samedi s'écoula,
ainsi que la nuit suivante, en conjectures sur les causes et les
conséquences de ce drame.
Si cette perte atteignait toute l'aviation française, elle nous affligeait plus
intensément, nous qui pleurions un chef énergique et des camarades
valeureux.
Pourquoi la fatalité inexorable avait-elle cherché ses victimes parmi ceux
qui semblaient le mieux aptes à se défendre !
Malgré, et même à cause de ce malheur, le présent s'imposait à nous.
Nous allions répondre à ce coup du sort en prenant une éclatante
revanche.
À 6 heures du matin, le dimanche 11 mai, le courrier de France avait
quitté Toulouse, emporté par Dubourdieu, l'as de ce réseau.
Mathématiquement, les étapes s'accomplirent en direction de
Casablanca qu'il atteignit très tôt dans l'après-midi et ce fut à une vitesse
de record qu'il s'achemina ensuite vers Saint-Louis au Sénégal.
Au moment de ce départ que je ne pouvais plus différer, mes pensées
allaient vers Pranville, mort, au moment même où il croyait aller au-devant
du succès pour lequel, comme nous tous, il avait œuvré depuis deux ans.
Malgré une nuit blanche, je quittai Rio de Janeiro à bord du LAT. XXV de
convoyage que je devais conduire à Natal.
Toute une nuit en l'air, le temps de méditer dans ma solitude !