Page 160 - L’AÉROPOSTALE D’AMÉRIQUE DU SUD
P. 160
160
Nous décollâmes à 19 h 30. Les nuages, si bas qu'ils semblaient traîner
au sol, nous gênaient et souvent nous cachaient la côte. Des couches
superposées voilaient la lune qui, bien que présente, ne parvenait pas à
percer l'opacité de cette nuit. Pour ne point perdre de vue le dessin du
rivage et pour éviter les collines qui le jalonnaient, il nous fallait jouer à
cache-cache avec les nuages. Ainsi, nous parvînmes sans trop de
difficultés au cap San Thomè.
Le vent très violent nous secouait et retardait notre marche.
Au cap Frio, nous devions changer de direction et prendre à droite de 90°.
La côte nous fuyait, cette côte bordée de marécages que les hautes
marées recouvraient parfois et, quand nous avions contourné des collines
de deux à quatre cents mètres, ce que nous croyions être la plage n'était
le plus souvent qu'une bande de sable entre deux lagunes.
Nous mîmes deux heures pour franchir deux cents kilomètres ; dans le noir
devant nous le cap Frio devait être proche. Noyées dans la vapeur d'eau,
la brume et les stratus au ras du sol, les lumières de la petite ville de
Macahé se dessinèrent.
Au même moment, nous entrâmes dans un véritable déluge ! Pareille à un
rideau, la pluie tropicale nous inonda, dissimulant les repères que mes
yeux avides cherchaient. Même par beau temps les phares côtiers obturés
du côté de la terre ne peignaient qu'un faisceau insignifiant, alors dans
cette bourrasque !
Malgré le moteur et la carlingue inondés, la machine se comportait bien,
mais c'était là mon moindre souci, car j'avais dû descendre sous les
cumulus pour éviter de perdre le contact avec la côte. Je connaissais bien
cette région du cap Frio la plus difficile de tout ce parcours tourmenté, ses
surfaces inondées étaient propices à une erreur de position dont le résultat
pouvait être de nous mettre brusquement nez à nez avec l'une de ces
collines érigées à l'extrémité du cap.
L'intérieur n'était d'ailleurs pas plus rassurant : la forêt vierge, son vert
sombre intense se confondant avec la nuit, ses arbres démesurés,
recouvrant aussi bien la plaine que les hauteurs.
Chagas me passa un message reçu de Rio. Il émanait de Reine qui du
poste radio suivait notre marche lente ; c'était lui qui devait prendre le
courrier et continuer vers Buenos-Aires.
« Violent orage sur le terrain, visibilité nulle. Je crois que vous n'arriverez
pas jusqu'ici. »