Page 161 - L’AÉROPOSTALE D’AMÉRIQUE DU SUD
P. 161
161
Que faire ? Nous étions à trois heures trente de Victoria et à cent
kilomètres de Rio sans suffisamment d'essence pour faire demi-tour, sans
même y songer, il faut bien le dire. Le courrier ne devait pas à cause de
nous perdre le temps précieux que l'exploit de Mermoz lui avait fait gagner !
Hélas ! Notre volonté risquait de ne pas suffire contre ce temps de plus en
plus mauvais, contre cette obscurité si dense qu'il fallait passer la tête hors
de la carlingue pour distinguer, grâce aux stries fulgurantes qui
pourfendaient le ciel, le contour imprécis d'une côte balayée par les
torrents.
« J’en ai trop vu, trop enduré pour abandonner maintenant, pensai-je,
je réussirai, je veux réussir et, quel que soit devant moi le risque, je vais
à sa rencontre. Dans une heure, j'en aurai terminé ou bien.
À la verticale, je suivis la côte et quant à la plage succédait la montagne
où quelque rocher abrupt, je m'écartais en mer si la pluie moins dense me
permettait de ne point perdre l'obstacle de vue, sinon je virais sur place
pour ne point courir le risque d'être déporté. Combien de fois dus-je répéter
ces manœuvres avant d'arriver à la dernière falaise, celle qui, à cinq
kilomètres de la baie de Rio, barre la route et nous faisait craindre l'échec
si près du but !
L'antenne emportée, l'opérateur inondé et obligé de se cramponner pour
ne pas être éjecté de son siège, assailli de toutes parts par la bourrasque,
nous dûmes, pendant plus de cinq minutes au centre d'un orage d'une
extrême violence, virer en spirale, l'aile à quelques mètres seulement du
sable de la plage pour ne pas perdre de vue la frange d'écume, ce repère
qui nous évitait de percuter la mer ou l'obstacle proche.
Enfin, les éléments parurent s'assouvir, être vaincus, un calme relatif et
momentané, nous permirent de passer les dernières collines et d'entrer
dans la baie de Rio entre les forts, par le chemin que suivent les navires.
Dix minutes plus tard, dans la boue et la pluie, nous roulions jusqu'au
hangar de l'Aéropostale. En ce lieu, quelques dizaines d'aficionados, les
représentants de l'aviation brésilienne et le directeur des postes nous
attendaient.
Minuit était depuis longtemps passé. Les félicitations de nos amis ne
m'atteignaient pas, car ce retard provoqué par le mauvais temps me
préoccupait trop.
Le directeur des postes brésilien était un homme charmant, il comprit mon
souci et à peine lui avais-je parlé que, sans la moindre hésitation, il me
rassurait.